Ce 20 mai ramène l’anniversaire de naissance de Toussaint Louverture. Il est sans nul doute le plus grand homme de notre histoire dont le leadership personnel et organisationnel a contribué à l’émergence de la nation haïtienne et de l’émancipation de la race noire à travers l’histoire globale.
Le leadership de Toussaint Louverture est très peu connu dans le monde. Je dis bien: très peu connu. La revue de littérature et la production multimédia sur ce principal dirigeant de la révolution de Saint-Domingue (le nom d’Haïti à l’époque) est très limitée comparativement à d’autres leaders de sa trempe. Et je crois que c’est l’un des grands défis que nous avons à combler.
L’Américain Wendell Philipps, dans un vibrant discours devant la société anti-esclavagiste de Boston, Massachussets, place notre Toussaint bien au dessus du Grec Phocion, du Romain Brutus, de l’Anglais Hampdem, du Français Lafayette et de l’Américain Washington. Le Français Alfonse de Lamartine dit de Toussaint que “cet homme fut une nation”. L’Haîtien Anténor Firmin rencontre en ce Noir “le plus merveilleux exemple de l’étonnante et prompte évolution qu’avaient subies les Africains transportés en Haïti”.
Ses racines remontent à la famille royale Gaou du Bénin, l’ex Dahomey. Son père, Hyppolite, est un déporté. Déporté d’un autre genre après avoir été kidnappé et vendu au businessman Bréda qui possédait une plantation portant son nom dans le nord.
C’est à Bréda, après avoir eu sa liberté, qu’Hyppolite a donné naissance le 20 mai 1743 à Francois Dominique Toussaint Bréda qui alla devenir Toussaint Louverture.
Il était un esclave hors du commun montrant dans l’exécution de ses travaux une ponctualité qui poussa son maître, Baillon de Libertat, à prendre en considération ses efforts.
Il avait plus de 21 ans quand il faisait l’apprentissage des premières lettres de l’alphabet aidé d’un vieux Noir appelé Baptiste sous la lueur de la lampe après leurs dures journées de travail. Pour renforcer sa posture physique, il s’exerçait par la course et la lutte.
En 1776, quand les treize colonies américaines déclaraient leur indépendance du royaume d’Angleterre, Toussaint acquit sa liberté personnelle, devient homme d’affaires en possédant des terres et des esclaves. Etudiant autodicdate assidu, lecteur vorace, il lit tout ce qui lui tombe sur la main mais avec une préférence marquée pour la Bible, les Mémoires militaires et les livres de Plutarque, Raynal, Epictète.
Bon cavalier, fin guérisseur, il devient un homme à tout faire, un homme à talent, auquel plus d’uns se réfèrent pour mille et une nécessités. Il avait appris à serpenter les montagnes, traverser les plaines et les rivières du nord en devenant médecin de campagne avec une bonne connaissance des bois et des vertus de certaines plantes pour la guérison de certaines maladies.
Disposant du temps (le plus gros capital pour tout leader en gestation), observant la vie dure et atroce des esclaves sur les plantations avoisinantes de Bréda et du Morne Rouge à l’entrée du Cap, étant à l’écoute des conversations des propriétaires sur les révolutions en cours en Amérique et en France autour des idéaux de liberté et d’égalité, il se forge des idées, construit son rêve, bâtit son réseau d’informateurs, tisse des liens d’amitié et se prépare au leadership.
Je crois que la force du leadership de Toussaint est la bonne préparation qu’il s’est donnée pendant cette période de liberté personnelle. Je crois aussi que la grande faiblesse de son leadership résulte du fait qu’il n’a pas eu de mentor direct dans la lutte et la formation d’autres leaders aussi éduqués que lui.
A l’inverse de Dessalines et de Christophe (beaucoup plus jeunes et qui lui sont restés fidèles jusqu’à la fin), Toussaint n’était pas à Savannah, dans le contingent d’esclaves noirs qui ont combattu pour l’indépendance américaine. Ceux-ci étaient en fait des esclaves que leurs maitres blancs français et affranchis avaient envoyés en guerre contre les forces anglaises. C’étaient des biens en nature comme la nourriture, la poudre à canon et de l’argent que les propriétaires français de Saint-Domingue octroyaient aux minuteman américains du Sud dans leur révolte pour l’autonomie contre les forces anglaises dans le cadre des rivalités franco-anglaises.
Toussaint était libre. (je dis en passant que la thèse faisant croire que des Haïtiens ont été à la bataille de Savannah pour aider les Etats-Unis dans leur guerre de l’indépendance est une mauvaise interprétation de l’histoire. Haïti n’existait pas encore. Ceux qui ont été n’y furent pas de leur propre gré mais en tant que biens des colons français de Saint-Domingue qui ont comptabilisé leur quote-part à cette bataille. Ceci est une autre histoire sur laquelle je vais revenir dans un autre article. Pour le moment, revenons à Toussaint, le fêté du jour.)
Toussaint avait 48 ans quand, en aout 1791, le leader Dutty Boukman et ses lieutenants Jean-Francois et Biassou, organisèrent la première grande convention de leadership des noirs de l’Amérique à Bois-Caîman, pour demander vengeance, courage, assistance et bienfaits au “Dieu qui nous regarde en haut … qui a fait le soleil et qui fait gronder les tonnerres… de nous libérer du crime des blancs… de conduire nos bras et nous donner assistance pour goûter la liberté qui est au fond de nos coeurs à tous”. (Certes à Bois-Caîman, il y eût la partie religieuse pour l’évocation de la foi avant l’engagement dans la bataille; c’est aussi pareil pour Washington et ses sociétés secrètes à Valley Forge pour évoquer les forces surnaturelles à l’accompagner face aux troupes anglaises dans les batailles de Trenton, de Saratoga, du Fort Ticonderoga pour confirmer l’indépendance américaine par la révolution.)
Toussaint a pu organiser le départ de son maitre Libertat et de sa famille par bateau pour les Etats-Unis au moment de cette rébellion qui a emporté par le feu les plantations sucrières de la Plaine du Nord.
Le leadership Boukman était de courte durée parcequ’il n’avait pas de plan et de stratégie spécifiques. Mais, il a donné lieu à une situation sans-retour en mettant à jour une vision qui est celle de vivre libre.
Boukman est capturé et exécuté. Les colons français lui tranchent la tête qu’ils promènent sur une pique dans toute la ville du Cap. Une façon d’intimider ceux qui ont en tête l’idée de se soulever contre eux. Mais c’est aussi la terrible leçon du Koupe têt bien apprise par ceux qui seront libres plus tard.
Pour le moment, les colons français ont le contrôle de la ville du Cap et du port; mais perdent les agglomérations avoisinantes et leurs plantations.
Jean-Francois et Biassou héritent le leadership de la révolution du moment en occupant les régions allant de la Grande-Rivière du Nord, Ouanaminthe jusqu’à la frontière de l’Est contrôllée par l’Espagne qui est en guerre ouverte avec la France.
Toussaint s’engage comme secrétaire et médecin de Biassou. Le gouverneur de la partie espagnole de l’île offrit, au nom de sa Majesté catholique, la liberté et des terres à tous les noirs qui s’enrôleraient sous son commandement.
Jean-Francois devient Espagnol. Biassou aussi. Toussaint le devient de fait parceque faisant partie des troupes de Biassou. Toussaint se mit à l’école espagnole, à avoir une indiscutable conscience d’homme libre, à constituer ses propres forces avec des soldats de la trempe de Christophe, Dessalines, Moyse, Belair, Gabart, Clerveaux, Vernet etc …
A 50 ans, Toussaint faisait ses premières armes dans l’armée. Il apprit non seulement à diriger une armée invincible mais encore à la mettre au service d’une politique bien définie de la liberté. C’est en se battant pour l’Espagnol contre la France, en gagnant de nouveaux territoires qui s’étendent à Ennery, aux Gonaïves dans l’Artibonite, que Toussait Bréda était devenu Toussaint Louverture.
Peu à peu, il se sépare de Biassou. Il ordonne sa troupe de ne répondre qu’à ses ordres. Il accroit son propre fonds et assume de plus en plus son indépendance par rapport à Biassou et aux Espagnols qui, il le comprend, ne peuvent pas être pour la liberté totale parceque possédant d’autres colonies dans toute l’Amérique.
La France proclame la liberté générale des esclaves. Il rentre en pourparlers secrets avec des insurgés armés par le commissaire français Sonthonax. Celui-ci est très fort et il a l’appui des noirs et des affranchis. Ce qui ne laissera pas de rôle de leadership pour Toussaint dans le devenir de la colonie.
Il renforce sa position, construit sa personnalité. Il reste Espagnol mais sans être acquis à leur cause de liberté limitée. Il observe de loin les rapports de force du côté français avec la mission civile de Sonthonax qui a distribué des armes aux esclaves, a proclamé la liberté générale mais est secondé par des troupes d’affarnchis dominés par Rigaud, Pétion, Villate, Beauvais et les blancs plus instruits que lui. Il évite les conflits blancs contre blancs tels l’affaire Galbaud, les prises d’armes de Borel.
Toussaint jouait à travers les contradictions de classes et de nations, profitant de ce qu’elles lui apportaient. Sonthonax est rappelé en France en 1794. Le général françaisLavaud est en charge. Toussaint contacte Lavaud pour l’informer de son intention de devenir Français avec sous ses ordres plus de 4 mille hommes avec l’apport des territoires des Gonaïves, Gros-Morne, Ennery, Marmelade, Dondon, Plaisance et toute la dépendance du Limbé.
Malgré son apport, Toussaint n’était pas bien considéré dans le camp français dominé en grande partie par les affranchis. Ceux-ci voulaient tout dominér et voulaient se séparer de la France. L’un des leurs, Villate, tente un coup d’Etat contre le général Lavaud, gouverneur après le départ de Sonthonax, qui est arrêté et emprisonné au Cap.
Toussaint, exigeant la mise en liberté de Lavaud, menace de marcher “sur le Cap avec des forces majeures” si “mes justes réclamations n’ont pas le succès que j’espère”. Il envoit vers le Cap des troupes sous les ordres de Dessalines et Belair. Sa lettre est arrivée la veille au soir et au petit jour, Lavaud est libéré. Villate abandonne la ville. Lavaud dresse un rapport élogieux pour Toussaint à la Convention Nationale en France qui le nomme général de l’armée française.
Sonthonax revient à la colonnie. Il a le plein contrôle de la partie nord avec Lavaud et Toussaint. Les affranchis après la tentative du coup de Villate perdent du terrain. Sauf dans le Sud où Rigaud affirme son leadership sans conteste. La commission échoue d’établir son pouvoir dans le Sud. Toussaint, tout en étant du côté de la commission et le second de Lavaud, observe et ne se prononce pas contre Rigaud.
Lavaud laisse la colonie en 1795. Toussaint devient général en chef. Sonthonax est l’autorité suprême de la France. Il est très aimé par la population noire pour avoir proclamé la liberté générale et distribué des armes. Rigaud a le plein contrôle de la zone du Sud.
Rigaud est pour la liberté et contre l’égalité revendiquant le pouvoir aux plus capables. Toussaint revendique la liberté pour tous comme un droit et l’égalité comme sa conséquence naturelle avec le pouvoir aux opprimés. Les positions idéologiques se révèlent inconciliables. Sonthonax représente la métropole, une métropole qui est elle-même en pleine mutation entre les idéologies de liberté, d’égalité et de fraternité.
Mais, la faiblesse du leadership du moment c’est de n’avoir pas associé la responsabilité à la liberté.
En 1797, Toussaint expulsa Sonthonax qui lui devient suspect. La France délègue le général Hédouville comme son nouveau représentant. Toussaint reste encore fidèle à la France. Mais l’Angleterre a le contrôle de la plupart des ports et de certaines plantations dans l’Ouest avec la possession des plaines du Cul-de-Sac, de l’Arcahaie et de Léogane, des greniers vivriers importants qui leur permettait de couper le nord et le sud.
Toussaint reprend le contrôle de l’Est où il entreprend d’organiser une stricte discipline. La collaboration entre les chefs indigènes est réelle. Toussaint attaque les possessions anglaises dans les plaines et passe des armes à Rigaud pour se défendre des Anglais qui voulait contrôler le port du Sud pour faciliter les transactions avec la Janaïque.
Toussaint a le contrôle de toute l’île sauf les ports de la grande-Anse et du Nord Ouest qui sont anglais. L’unité de la colonie retrouvée par les forces indigènes sous le leadership de Toussaint et de Rigaud, Toussaint entame des négociations avec le général anglais Maitland. Celui-ci lui l’invite à se rendre indépendant de la France, sous la protection de sa Majesté britannique.`
Toussaint semblait jouer le jeu. Mais les relations avec l’Angleterre se sont estompés après une attaque surprise de Maitland qui voulait rattacher le Sud à la Jamaîque pour en faire un territoire indépendant.
Toussaint s’établit à Port-a-Prince. Hédouville au Cap. Et Rigaud dans le Sud. Hédouville reprend contact avec Rigaud contre Toussaint. Il essaie d’obtenir la réduction de l’armée, la suppression du poste de général en chef et la destitution automatique de Toussaint.
Hédouville a fait prendre la fuite le commandant Moyse, proche de Toussaint, en montant contre lui des officiers hostiles. La réaction de Toussaint est implacable. Il ordonne à Dessalines de se saisir du commissaire. Celui-ci prend la fuite par la mer.
En attendant la réaction de la métropole, Toussaint et Rigaud se lancent dans d’intenses échanges épistolaires et se disputent des limites territoriales de Grand-Goave et de Petit-Goave. Toussaint a entrepris la guerre du Sud contre Rigaud en ordonnant à Dessalines d’assiéger Jacmel, Bainet, Miragoane. Rigaud talonné fut battu successivement à Saint-Michel, Fond-des-Nègres et Vieux Bourg d’Aquin. Toussaint rentre aux Cayes en 1800. Des hommes de couleur qui avaient abandonné par la mer revinrent avec les troupes françaises en 1802.
Toussaint a fait la campagne de L’EST est est monté au pinacle de sa gloire avec la promulgation de la constitution de 1801. Bonaparte a envoyé une expédition de plus de 20 Mille pour rétablir l’autorité française.
Il a été arrêté par traitrise et envoyé en France où il est mort dans des conditions affreuses. Le leadership de Toussaint Louverture est sa grande préparation au leadership, sa grande intelligence, son tact, sa capacité de négociation. Les limites de son leadership demeurent dans les limites du contexte du temps.
Je ne peux que poser des questions: pourquoi n’avoir pas décidé l’indépendance totale comme l’attendaient les Etats-Unis et l’Angleterre? Pourquoi ne pas avoir eu des contacts avec les anti esclavagistes comme les Wilberforce pour continuer l’ouverture sur d’autres fronts?
En tout cas, ce ne sont que des conjectures hors du moment historique. Le leadership de Toussaint Louverture devait être un cas d’étude pour tous les Haïtiens.
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